La
vie de « Fifi », de Françoise Demulder, c’est
la nôtre. Elle est nous, nous sommes elle. Comme dans un collage,
dans un patchwork, nous avons en commun des morceaux de temps, des douleurs,
des paysages et des rires partagés. Pour les journalistes qui
ont vieilli en même temps que le calendrier des trente dernières
années de guerres, l’existence de Françoise est
notre maison de rendez-vous. Elle est le lien, le messager qui nous
unit même si, parfois, nous ne nous connaissons pas. La gardienne
de notre communauté, où l’on préfère
les vivants aux morts, la vérité à l’argent,
la liberté à tout autre chose.
Femme de frontières, sans rien dire, sans théoriser, se
contentant « d’appuyer sur le déclencheur »,
elle a jonglé avec toutes les formes du risque, dépassant
les bornes des règles sociales ou celle des check-points. Toujours
avec son rire, toujours à la marge. Et fidèle.
Dans un texte récent, Robert Stevens, l’un de ses photo-éditeurs
à Time, rappelle que, pendant la guerre du Vietnam, Françoise
« a fait des images extraordinaires de la mort, de la destruction
et de l’horreur. Des photos caractérisées par leur
puissance.» Les images de cette libertaire sont un miroir tendu
à l’Amérique, le reflet de ses propres horreurs.
Avec celles de quelques autres franc-tireurs, ses photos ont amené
la fin de la guerre.
De ce Vietnam, puis du Cambodge qui a enchaîné, Françoise
n’est jamais complètement revenue, ces pays étaient
devenus les siens. Même si le Liban, qui prend le relais de l’épouvante,
est pendant dix ans sa terre de transit. C’est là en 76,
dans le quartier de la « Quarantaine », qu’elle prend
une photo emblématique, celle de Palestiniens fuyant la barbarie.
En fixant cette fresque vivante, la sobre « Fifi » a le
sentiment de photographier « un morceau d’histoire ».
Pour cette photo, elle obtient le World Press, première femme
ainsi récompensée.
Hospitalisée à Paris depuis le mois d’octobre, Françoise
continue de se battre. Cette fois pour sa survie. Pour l’aider
dans ce monde précaire et sans mémoire, il n’y a
que deux sources : votre amitié et, si vous le pouvez, cet argent
qui est, aussi, le nerf de cette guerre-là.